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LETTRE CXXX.


se trouva vrai. Enflé de ce succès, j’ajoutai que cette flotte victorieuse irait débarquer à Final, pour faire la conquête du Milanès. Comme je trouvai de la résistance à faire recevoir cette idée, je voulus la soutenir glorieusement : je pariai cinquante pistoles, et je les perdis encore : car ce diable d’Albéroni, malgré la foi des traités, envoya sa flotte en Sicile, et trompa tout à la fois deux grands politiques, le duc de Savoie et moi.

« Tout cela, monsieur, me déroute si fort, que j’ai résolu de prédire toujours, et de ne parier jamais. Autrefois nous ne connaissions point aux Tuileries l’usage des paris, et feu M. le comte de L. [1] ne les souffrait guère ; mais, depuis qu’une troupe de petits maîtres s’est mêlée parmi nous, nous ne savons plus où nous en sommes. A peine ouvrons-nous la bouche pour dire une nouvelle, qu’un de ces jeunes gens propose de parier contre.

« L’autre jour, comme j’ouvrais mon manuscrit, et accommodais mes lunettes sur mon nez, un de ces fanfarons, saisissant justement l’intervalle du premier mot au second, me dit : Je parie cent pistoles que non. Je fis semblant de n’avoir pas fait d’attention à cette extravagance ; et, reprenant la parole d’une voix plus forte, je dis : M. le maréchal de *** ayant appris... Cela est faux, me dit-il : vous avez toujours des nouvelles extravagantes ; il n’y a pas le sens commun à tout cela.

« Je vous prie, monsieur, de me faire le plaisir de me prêter trente pistoles ; car je vous avoue que ces paris m’ont fort dérangé. Je vous envoie la copie de deux lettres que j’ai écrites au ministre. Je suis, etc. »


LETTRES D’UN NOUVELLISTE AU MINISTRE.


« Monseigneur,

« Je suis le sujet le plus zélé que le roi ait jamais eu. C’est moi qui obligeai un de mes amis d’exécuter le projet que j’avais formé d’un livre, pour démontrer que Louis le Grand était le

  1. Le comte de Lionne.