Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
456
LETTRES PERSANES.


service ; je vais vous l’envoyer ; je souhaite que vous vous en trouviez bien. Si vous voulez les œuvres du révérend père Rodriguès, jésuite espagnol, ne vous en faites faute. Mais, croyez-moi, tenons-nous-en au père Caussin ; j’espère, avec l’aide de Dieu, qu’une période du père Caussin vous fera autant d’effet qu’un feuillet tout entier de la C. du G. Là-dessus, M. Anis sortit, et courut chercher le remède à sa boutique. La Cour sainte arrive ; on en secoue la poudre ; le fils du malade, jeune écolier, commence à la lire : il en sentit le premier l’effet ; à la seconde page, il ne prononçait plus que d’une voix mal articulée, et déjà toute la compagnie se sentait affaiblie ; un instant après, tout ronfla, excepté le malade, qui, après avoir été longtemps éprouvé, s’assoupit à la fin.

« Le médecin arrive de grand matin. Eh bien, a-t-on pris mon opium ? On ne lui répond rien : la femme, la fille, le petit garçon, tous transportés de joie, lui montrent le père Caussin. Il demande ce que c’est ; on lui dit : Vive le père Caussin ; il faut l’envoyer relier. Qui l’eût dit ? qui l’eût cru ? c’est un miracle. Tenez, monsieur, voyez donc le père Caussin ; c’est ce volume-là qui a fait dormir mon père. Et là-dessus, on lui expliqua la chose comme elle s’était passée. [1] »

  1. Voyez la note 1 de la page précédente.

    Le médecin était un homme subtil, rempli des mystères de la cabale, et de la puissance des paroles et des esprits : cela le frappa ; et, après plusieurs réflexions, il résolut de changer absolument sa pratique. Voilà un fait bien singulier ! disait-il. Je tiens une expérience : il faut la pousser plus loin. Eh ! pourquoi un esprit ne pourrait-il pas transmettre à son ouvrage les mêmes qualités qu’il a lui-même ? Ne le voyons-nous pas tous les jours ? Au moins, cela vaut-il bien la peine de l’essayer. Je suis las des apothicaires ; leurs sirops, leurs juleps, et toutes les drogues galéniques ruinent les malades et leur santé. Changeons de méthode ; éprouvons la vertu des esprits. Sur cette idée, il dressa une nouvelle pharmacie, comme vous allez voir par la description que je vous vais faire des principaux remèdes qu’il mit en pratique.

    Tisane purgative.

    Prenez trois feuilles de la logique d’Aristote, en grec ; deux feuilles d’un traité de théologie scolastique, le plus aigu, comme, par exemple, du subtil Scot ; quatre de Paracelse ; une d’Avicenne ; six d’Averroès ; trois