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LETTRE CLV.





LETTRE CLV.


USBEK A NESSIR.


A ISPAHAN.



Heureux celui qui, connaissant tout le prix d’une vie douce et tranquille, repose son cœur au milieu de sa famille, et ne connaît d’autre terre que celle qui lui a donné le jour !

Je vis dans un climat barbare, présent à tout ce qui m’importune, absent de tout ce qui m’intéresse. Une tristesse sombre me saisit ; je tombe dans un accablement affreux : il me semble que je m’anéantis ; et je ne me retrouve moi-même, que lorsqu’une sombre jalousie vient s’allumer, et enfanter dans mon âme la crainte, les soupçons, la haine et les regrets.

Tu me connais, Nessir ; tu as toujours vu dans mon cœur comme dans le tien. Je te ferais pitié, si tu savais mon état déplorable. J’attends quelquefois six mois entiers des nouvelles du sérail ; je compte tous les instants qui s’écoulent ; mon impatience me les allonge toujours ; et, lorsque celui qui a été tant attendu est prêt d’arriver, il se fait dans mon cœur une révolution soudaine ; ma main