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LYSIMAQUE.


occupations me laissoient quelques heures de loisir, je les avois employées à l’écouter ; et si j’ai de l’amour pour la vertu, je le dois aux impressions que ses discours faisoient sur moi. J’allai le voir. « Je vous salue, lui dis-je, illustre malheureux, que je vois dans une cage de fer, comme on enferme une bête sauvage, pour avoir été le seul homme de l’armée. »

« Lysimaque, me dit-il, quand je suis dans une situation qui demande de la force et du courage, il me semble que je me trouve presque à ma place. En vérité, si les dieux ne m’avoient mis sur la terre que pour y mener une vie voluptueuse, je croirois qu’ils m’auroient donné en vain une âme grande et immortelle. Jouir des plaisirs des sens est une chose dont tous les hommes sont aisément capables ; et si les dieux ne nous ont faits que pour cela, ils ont fait un ouvrage plus parfait qu’ils n’ont voulu, et ils ont plus exécuté qu’entrepris. Ce n’est pas, ajouta-t-il, que je sois insensible ; vous ne me faites que trop voir que je ne le suis pas : quand vous êtes venu à moi, j’ai trouvé d’abord quelque plaisir à vous voir faire[1] une action de courage ; mais, au nom des dieux, que ce soit pour la dernière fois. Laissez-moi soutenir mes malheurs, et n’ayez point la cruauté d’y joindre encore les vôtres. »

« Callisthène, lui dis-je, je vous verrai tous les jours. Si le roi vous voyoit abandonné des gens vertueux, il n’auroit plus de remords : il commenceroit à croire que vous êtes coupable. Ah ! j’espère qu’il ne jouira pas du plaisir de voir que ses châtiments me feront abandonner un ami. »

Un jour Callisthène me dit : « Les dieux immortels

  1. Premières éditions : à vous faire voir.