Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
9
DE L’ESPRIT DES LOIS.


rapidité, à ces violences, à cette affreuse tranquillité, à cette léthargie, à cet esclavage du gouvernement despotique : il se déchaîne contre ces caprices, ces fureurs, ces vengeances, cette avarice, ces volontés rigides, momentanées et subites d’un visir qui est tout, tandis que les autres ne sont rien : il trace avec les couleurs les plus noires une peinture si naïve des fantaisies, des indignations, des inconstances, des imbécillités, des voluptés, de cette paresse et de cet abandon de tout, d’un despote, ou plutôt du premier prisonnier enfermé dans son palais, que, nous inspirant de l’horreur contre cette espèce de gouvernement, il parait nous avertir tacitement combien nous sommes obligés de rendre grâces au ciel de nous avoir fait naître dans nos contrées heureuses, où les souverains, toujours agissants, toujours travaillants, et menant une vie appliquée, ne sont occupés que du bien-être de leurs sujets, comme un bon père de famille est attentif au bien de ses enfants.

C’est en tirant les conséquences de ces mêmes principes, par rapport à la manière de former les jugements, qu'il sait tendre les pièges les plus adroits au despotisme, heureusement inconnu aux sages gouvernements de nos jours, où un corps permanent de plusieurs juges est le seul dépositaire de la vie, de l’honneur et des biens de chaque citoyen ; où les souverains, laissant aux mêmes juges le pouvoir de punir, se réservent celui de faire grâce, qui est le plus bel attribut de la souveraineté ; et où les ministres, sans se mêler des affaires contentieuses, veillent nuit et jour aux grands intérêts de l’État, n’exigeant d’autre récompense de leurs travaux que le pouvoir de faire des heureux. Notre auteur, pour inspirer par le contraste plus de respect pour ces corps augustes, ou, pour mieux dire, pour ces sanctuaires de justice, de vérité, de sagesse, nous rappelle avec horreur le jugement d’Appius, ce magistrat inique qui abusa de son pouvoir jusqu’à violer la loi faite par lui-même.

Il nous met entre les mains des trésors inestimables à l’égard de l’établissement des peines. Il nous montre que la