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ANALYSE RAISONNÉE

Il prédit ce qui a dû résulter par rapport aux rangs, aux dignités, au luxe, à cette estime des qualités réelles, c’est-à-dire des richesses et du mérite personnel.

Enfin il aperçoit comment a pu se former cet esprit d’éloignement de toute politesse fondée sur l'oisiveté, ce mélange de fierté et de mauvaise honte, cette humeur inquiète au milieu des prospérités, cette modestie et cette timidité des femmes, cette préférence du véritable esprit à tout ce qui n’est que du ressort du goût, cette étude de politique jusqu’à prétendre calculer tous les événements, cette liberté de raisonner. Il connoît même le caractère de la nation dans ses ouvrages d’esprit.

Le portrait que notre auteur vient de donner d’une nation si commerçante de l’Europe, d’une nation qui, selon lui, fait même céder ses intérêts politiques à ceux du commerce, d’une nation où il fut si chéri et si respecté, le conduit à l’examen des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et dans ses distinctions, dans les révolutions qu’il a eues dans le monde, et dans sa relation avec l’usage de la monnoie.

Je l’ai dit, cet ouvrage ne paroît fait que pour inspirer de la modération, de l'humanité et des mœurs. Ainsi il est beau d’apprendre ici que l’esprit du commerce est de guérir des préjugés destructeurs, de produire la douceur des mœurs, et de porter les nations à la paix, vu que toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

Il est aussi consolant pour quelques peuples malheureux d’être ici assurés qu’étant pauvres, non à cause de la dureté du gouvernement, mais parce qu’ils ont dédaigné ou parce qu’ils n’ont pas connu les commodités de la vie, ils peuvent malgré cela faire de grandes choses, parce que leur pauvreté fait une partie de leur liberté.

De là on voit combien l’esprit de commerce est lié à la constitution. Dans le gouvernement d’un seul, il est fondé sur le luxe ; dans le gouvernement républicain, il est ordinairement