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ANALYSE RAISONNÉE


un législateur est, si j'ose le dire, l'ange tutélaire des États.

Ainsi la candeur doit former le caractère de la loi. Il veut que l’esprit de modération soit celui du législateur, et il n’a que trop raison ; car un sage législateur doit savoir arrêter même le bien dans le point où commence l'excès ; et il doit éviter de mener les hommes par les voies extrêmes. Il se plaint amèrement de ce que les lois rencontrent presque toujours les préjugés, et, ce qui est pire, les passions des législateurs.

Enfin notre auteur développe l’esprit de quelques lois grecques et romaines, pour nous faire mieux connoître d’autres principes dans la manière de composer les lois. Ainsi il remarque que des lois qui paroissent s’éloigner des vues du législateur y sont souvent conformes ; que des lois qui paroissent les mêmes n’ont pas toujours le même effet, ou n’ont pas toujours le même motif, ou sont quelquefois différentes ; que des lois qui paroissent contraires dérivent quelquefois du même esprit. Il nous enseigne de quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées ; qu’il ne faut pas séparer les lois de l'objet pour lequel elles sont faites, ni des circonstances qui les ont occasionnées ; qu’il est bon quelquefois qu’une loi se corrige elle-même.

Voilà l’économie de cet ouvrage magnifique. A la peinture que je viens de tracer, quelque foible qu’elle soit, il est aisé de voir que dans ce livre de l'Esprit des Lois régnent la précision, la justesse, un ordre merveilleux ; ordre peut-être caché aux yeux de ceux qui ne sauroient marcher que de conséquence en conséquence, toujours guidés par des définitions, des divisions, des avant-propos, des distinctions, mais qui paroît dans tout son jour aux esprits attentifs, capables de suppléer d’eux-mêmes les conséquences qui naissent des principes, et assez habiles pour rapprocher et joindre dans la chaîne des vérités établies celles qui s’ensuivent, qui, aux yeux des connoisseurs, ne sont, pour ainsi dire, couvertes que d’un voile transparent.