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ANALYSE


craint point un autre. C’est principalement par la nature et la proportion des peines que cette liberté s’établit ou se détruit. Les crimes contre la religion doivent être punis par la privation des biens que la religion procure ; les crimes contre les mœurs, par la bonté ; les crimes contre la tranquillité publique, par la prison ou l'exil ; les crimes contre la sûreté, par les supplices. Les écrits doivent être moins punis que les actions ; jamais les simples pensées ne doivent l’être. Accusations non juridiques, espions, lettres anonymes, toutes ces ressources de la tyrannie, également honteuses à ceux qui en sont l'instrument et à ceux qui s’en servent, doivent être proscrites dans un bon gouvernement monarchique. Il n’est permis d’accuser qu’en face de la loi, qui punit toujours ou l’accusé ou le calomniateur. Dans tout autre cas, ceux qui gouvernent doivent dire avec l’empereur Constance : « Nous ne saurions soupçonner celui à qui il a manqué un accusateur, lorsqu’il ne lui manquoit pas un ennemi. » C’est une très-bonne institution que celle d’une partie publique qui se charge, au nom de l’État, de poursuivre les crimes, et qui ait toute l’utilité des délateurs sans en avoir les vils intérêts, les inconvénients et l’infamie.

La grandeur des impôts doit être en proportion directe avec la liberté. Ainsi, dans les démocraties, ils peuvent être plus grands qu’ailleurs, sans être onéreux, parce que chaque citoyen les regarde comme un tribut qu’il se paie à lui-même, et qui assure la tranquillité et le sort de chaque membre. De plus, dans un État démocratique, l’emploi infidèle des deniers publics est plus difficile, parce qu’il est plus aisé de le connoître et de le punir ; le dépositaire en devant compte, pour ainsi dire, au premier citoyen qui l’exige.

Dans quelque gouvernement que ce soit, l’espèce de tributs la moins onéreuse est celle qui est établie sur les marchandises, parce que le citoyen paie sans s’en apercevoir. La quantité excessive de troupes, en temps de paix, n’est qu’un prétexte pour charger le peuple d’impôts, un moyen d’énerver l’État, et un instrument de servitude. La régie des tributs,