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AVERTISSEMENT


DE L’AUTEUR [1]


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Pour l'intelligence des quatre premiers livres de cet ouvrage, il faut observer que ce que j’appelle la vertu dans la république est l’amour de la patrie, c’est-à-dire l'amour de l’égalité. Ce n'est point une vertu morale, ni une vertu chrétienne, c’est la vertu politique ; et celle-ci est le ressort qui fait mouvoir le gouvernement républicain, comme l'honneur est le ressort qui fait mouvoir la monarchie. J’ai donc appelé vertu politique l’amour de la patrie et de l’égalité. J’ai eu des idées nouvelles ; il a bien fallu trouver de nouveaux mots, ou donner aux anciens de nouvelles acceptions. Ceux qui n’ont pas compris ceci m’ont fait dire des choses absurdes, et qui seroient révoltantes dans tous les pays du monde ; parce que, dans tous les pays du monde, on veut de la morale [2].

2e. Il faut faire attention qu’il y a une très-grande différence entre dire qu’une certaine qualité, modification de l’âme, ou vertu, n’est pas le ressort qui fait agir un gouvernement, et dire qu’elle n’est point dans ce gouvernement. Si je disois : telle roue, tel pignon, ne sont point le ressort qui fait mouvoir cette montre, en concluroit-on qu’ils ne sont point dans la montre ? Tant s’en faut que les vertus morales et chrétiennes soient exclues de la monarchie, que même la vertu politique ne l'est pas. En un mot,

  1. Cet Avertissement n’est point dans les premières éditions. Il a été fait pour répondre aux critiques du temps, qui regardaient comme une insulte au gouvernement, et presque comme un crime de lèse-majesté, qu’un Français du XVIIIe siècle ne fit pas de la vertu le principe de la monarchie.
  2. Conf. Éclaircissements sur l'Esprit des Lois ; à la suite de la Défense.