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DE L'ESPRIT DES LOIS.


porte toujours les choses aussi loin qu’elles peuvent aller ; tous les désordres qu’il commet sont extrêmes ; au lieu que, dans les monarchies, les choses sont très-rarement portées à l’excès. Les chefs craignent pour eux-mêmes ; ils ont peur d’être abandonnés ; les puissances intermédiaires dépendantes [1] ne veulent pas que le peuple prenne trop le dessus. Il est rare que les ordres de l’État soient entièrement corrompus. Le prince tient à ces ordres : et les séditieux, qui n’ont ni la volonté ni l’espérance de renverser l’État, ne peuvent ni ne veulent renverser le prince.

Dans ces circonstances, les gens qui ont de la sagesse et de l’autorité s’entremettent ; on prend des tempéraments, on s’arrange, on se corrige ; les lois reprennent leur vigueur et se font écouter.

Aussi toutes nos histoires sont-elles pleines de guerres civiles sans révolutions ; celles des États despotiques sont pleines de révolutions sans guerres civiles.

Ceux qui ont écrit l’histoire des guerres civiles de quelques États, ceux même qui les ont fomentées, prouvent assez combien l’autorité que les princes laissent à de certains ordres pour leur service, leur doit être peu suspecte ; puisque, dans l’égarement même [2], ils ne soupiroient qu’après les lois et leur devoir, et retardoient la fougue et l’impétuosité des factieux plus qu’ils ne pouvoient la servir [3].

  1. Voyez ci-dessus la première note du livre II, chap. IV. (M.) — Il est certain que le Parlement se servait fort habilement des souffrances, des plaintes, des droits populaires pour forcer la cour à lui céder ; mais il ne faisait guère cause commune avec le peuple, pour lequel il avait plus de dédain que de respect.
  2. A. B. Dans leur égarement même, ils, etc.
  3. Mémoires du cardinal de Retz et autres histoires. (M.) Il s'agit ici du parlement de Paris.