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DE L'ESPRIT DES LOIS.


particulière du prince, pouvant être employés et ne l’être pas, ils sont en quelque façon dans le service, et en quelque façon dehors.

Ceci est incompatible avec le gouvernement despotique. Car, si ceux qui n’ont pas un emploi actuel avoient néanmoins des prérogatives et des titres, il y auroit dans l’État des hommes grands par eux-mêmes ; ce qui choqueroit la nature de ce gouvernement.

Que si le gouverneur d’une ville étoit indépendant du bâcha, il faudroit tous les jours des tempéraments pour les accommoder ; chose absurde dans un gouvernement despotique. Et, de plus, le gouverneur particulier pouvant ne pas obéir, comment l’autre pourroit-il répondre de sa province sur sa tête ?

Dans ce gouvernement l'autorité ne peut être balancée ; celle du moindre magistrat ne l’est pas plus que celle du despote. Dans les pays modérés, la loi est partout sage, elle est partout connue, et les plus petits magistrats peuvent la suivre. Mais dans le despotisme, où la loi n’est que la volonté du prince, quand le prince seroit sage, comment un magistrat pourroit-il suivre une volonté qu’il ne connolt pas ? Il faut qu’il suive la sienne.

Il y a plus : c’est que la loi n’étant que ce que le prince veut, et le prince ne pouvant vouloir que ce qu’il connoît il faut bien qu’il y ait une infinité de gens qui veuillent pour lui et comme lui.

Enfin, la loi étant la volonté momentanée du prince, il est nécessaire que ceux qui veulent pour lui, veuillent subitement comme lui.


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