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DE L'ESPRIT DES LOIS.


tion sur rien ; il lui faut une allure générale ; il gouverne par une volonté rigide qui est partout la même ; tout s’aplanit sous ses pieds.

A mesure que les jugements des tribunaux se multiplient dans les monarchies, la jurisprudence se charge de décisions qui quelquefois se contredisent, ou parce que les juges qui se succèdent pensent différemment ; ou parce que les mêmes affaires sont tantôt bien, tantôt mal défendues ; ou enfin par une infinité d’abus qui se glissent dans tout ce qui passe par la main des hommes. C’est un mal nécessaire, que le législateur corrige de temps en temps, comme contraire même à l’esprit des gouvernements modérés. Car, quand on est obligé de recourir aux tribunaux, il faut que cela vienne de la nature de la constitution, et non pas des contradictions et de l'incertitude des lois.

Dans les gouvernements où il y a nécessairement des distinctions dans les personnes, il faut qu’il y ait des privilèges. Cela diminue encore la simplicité, et fait mille exceptions.

Un des privilèges le moins à charge à la société, et surtout à celui qui le donne, c’est de plaider devant un tribunal plutôt que devant un autre [1]. Voilà de nouvelles affaires ; c’est-à-dire, celles où il s’agit de savoir devant quel tribunal il faut plaider [2].

  1. C'est ce qu'on appelait le droit de Committimus,
  2. Y a-t-il au contraire un privilège plus onéreux à la société que de voir des particuliers, des communautés riches et puissantes, jouir du droit d’obliger leurs vassaux,leurs fermiers, leurs débiteurs enfin, ou leurs créanciers, à venir des extrémités d'un grand royaume pour défendre leurs droits dans la capitale ? N’est-ce pas leur avoir accordé le droit de les ruiner, de les opprimer, de les réduire à l'impuissance d’obtenir la justice qui leur est due ? (Extraits du livre de l'Esprit des lois, p. 330). — La Révolution a corrigé cet abus.