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DE L’ESPRIT DES LOIS.


Lorsque la religion justifie pour une chose d’accident, elle perd inutilement le plus grand ressort qui soit parmi les hommes. On croit, chez les Indiens, que les eaux du Gange ont une vertu sanctifiante [1] ; ceux qui meurent sur ses bords, sont réputés exempts des peines de l’autre vie, et devoir habiter une région pleine de délices ; on envoie, des lieux les plus reculés, des urnes pleines des cendres des morts, pour les jeter dans le Gange [2]. Qu’importe qu’on vive vertueusement, ou non ? on se fera jeter dans le Gange.

L’idée d’un lieu de récompense emporte nécessairement l’idée d’un séjour de peines ; et quand on espère l’un sans craindre l’autre, les lois civiles n’ont plus de force. Des hommes qui croient des récompenses sures dans l’autre vie échapperont au législateur ; ils auront trop de mépris pour la mort. Quel moyen de contenir par les lois un homme qui croit être sûr que la plus grande peine que les magistrats lui pourront infliger, ne finira dans un moment que pour commencer son bonheur [3] ?

  1. Lettres édifiantes, quinzième recueil. (M.)
  2. On y jette les cadavres même.
  3. A. Finira dans un moment pour commencer son bonheur.
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