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LETTRE AU P. B. J.


continue-t-il, « Antipater forma la meilleure aristocratie qui fût possible, parce que ce cens étoit si petit qu’il n’excluoit que peu de gens, etc. » Or, ce trait d’histoire, qu’on dit tiré de Diodore de Sicile, est rapporté tout autrement par cet auteur : je l’ai sous les yeux et j’y lis, en termes exprès, que le nombre des Athéniens qui n’avoient pas les deux mille drachmes se trouva de plus de vingt-deux mille personnes, tandis que le nombre des autres citoyens ne montoit qu’à environ neuf mille : circonstances qui détruisent tout le raisonnement contenu dans cet endroit de l'Esprit des Lois [1].

Mais j’entre, mon Révérend Père, dans mon dessein, qui est de vous marquer ce qui blesse ici directement ou indirectement la religion. Croirez-vous, par exemple, l’auteur quand il dit, Livre XII, chapitre II : « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes), dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté. » Ne direz-vous pas : 1° que le simple exercice de la volonté ne suffit pas pour faire que nous soyions libres, et qu’il faut pour cela l’exercice de la puissance élective de la volonté » ; 2° que s’il y avoit un système qui se contentât, pour la liberté, de l’opinion où l’on pourroit être que l’on exerce sa volonté, ce seroit un système totalement condamnable [2] ?

Que penserez-vous aussi de cette proposition si générale, qui est au livre XII, chapitre IV : « Il faut faire honorer la Divinité, et ne la venger jamais ? » Vous

  1. C’est à cette critique que Montesquieu répond dans les Éclaircissements, joints à la Défense de l’Esprit des Lois. (V. inf.)
  2. La question n’est pas de savoir si le système est condamnable ; mais s’il existe, ce qui n’est pas douteux. Montesquieu discute les faits ; il n’en est pas responsable.