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LETTRE AU P. B. J.


plutôt par principe d’irréligion, comme on a tout lieu de le croire, depuis que l’Angleterre est devenue le centre de toutes les mauvaises doctrines ?

Un des endroits qui méritent le moins d’excuse, dans cet ouvrage sur les lois, est le chapitre IV du livre XVI. On y lit en titre, que « la loi de la polygamie est une affaire de calcul » [1] ; et l’auteur apporte en preuve qu’il naît plus de filles que de garçons en Asie, où la pluralité des femmes est si commune ; et pour montrer qu’il naît dans ces vastes contrées plus de filles que de garçons, il produit, d’après Kæmpfer, un dénombrement, par lequel on voit qu’à Méaco, capitale du Japon, il y avoit un peu plus de 182,000 mâles, et 223,573 femelles.

Cette preuve est-elle bien concluante ? Le dénombrement que cite Kæmpfer fut fait en 1672, dix-huit ans avant son arrivée au Japon. Il ne nous dit point si, dans cette année 1672, quelque cause particulière n’avoit point diminué considérablement le nombre des hommes de Méaco. En temps de guerre ou d’embarquement, on voit en France beaucoup plus de femmes que d’hommes, soit dans les campagnes, soit dans les ports de mer, quelquefois même dans les grandes villes. Si quelqu’un assuroit pour lors qu’il naît parmi nous plus de femmes que d’hommes, ne se tromperoit-il pas ? Or, qui nous assurera qu’en 1672 il n’y avait pas à Méaco quelque raison semblable de diminution dans la liste des hommes ?

Il est prouvé, par le témoignage du même Kæmpfer, que le dernier dénombrement fait à Méaco (apparemment en 1689 ou 1690) excédoit de plus 124 mille personnes

  1. Dans l’édition de 1758, ce titro a été changé. Le chapitre est intitulé : De la Polygamie, ses diverses circonstances. Voyez aussi Inf. la Défenes.