Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
278
SUITE DE LA DÉFENSE


moral, cette loi qui, « étendant le corps du clergé et resserrant celui des laïques », a des conséquences affreuses, en ce qu’elle anéantit insensiblement l’un et l’autre.

S’il avoit jeté les yeux sur la nature du célibat, il auroit vu qu’il n’a d’autre degré de bonté que celui qui lui est attribué par la superstition et par l’intérêt ; il auroit vu que l’homme n’a aucun droit sur sa postérité, que le célibataire est le meurtrier de la famille qui devoit naître de lui : l’ennemi de la patrie, en ce qu’il lui vole des citoyens : un fanatique ennemi de lui-même, en ce qu’il étouffe ce cri de la nature, qui nous porte à nous voir renaître dans d’autres nous-mêmes : un mauvais chrétien en ce qu’il s’oppose au développement de germes qui produiroient des êtres doués de l’inestimable avantage de connoître et d’adorer Dieu : un enthousiaste inconséquent, en ce qu’il augmente le nombre des saints aux dépens de celui des hommes, et conséquemment, de celui des saints mêmes. Que n’a-t-il pas dit du principe du despotisme, qui tend à détruire un État ? Que n’auroit-il pas dû dire du principe du célibat, qui tend à détruire l’univers ? Il met le sujet soumis au despote à côté de l’automate ; il auroit dû mettre le célibataire à côté de l’anthropophage.

C’est bien dans ce siècle où les devoirs de la société sont si bien connus, où les lois de la morale ont été si bien développées, qu’il faut vanter une vertu qui n’est bonne à rien. Malheureux célibataires ! quel service rendez-vous à l’État par votre continence ? Quel service à Dieu ? Quel service à vous-mêmes ? Vous vous ôtez des plaisirs vertueux, à l’État des sujets, à Dieu des adorateurs. Si le ciel vous avoit destiné à cette vie, il vous en auroit sans doute averti, en vous privant de ce sens le plus voluptueux