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DE L’ESPRIT DES LOIS.


pourvoira aux besoins du citoyen. Le bonheur ou le malheur d’un État dépend de ses lois. Introduisez en Espagne les lois d’Angleterre : il y aura parmi les moines des Ansons qui feront le tour du monde. Faites goûter aux Anglois les lois espagnoles : il y aura, parmi les marins, des gens qui se borneront à faire le tour d’une cellule.

Les erreurs des grands hommes sont contagieuses ; on l’a dit, et je le répète pour justifier la liberté que je vais prendre d’en relever une de M. de M... Il établit, en plusieurs [1] endroits de son livre, une différence spécifique entre les conseils et les préceptes de l’Évangile. Cette différence est chimérique, et tire sa source du système des mystiques, qui, s’étant placés hors de la portée des forces humaines, ont introduit l’opinion des divers degrés de sainteté : opinion directement contraire au but du christianisme. Tout y est précepte, rien n’y est conseil ; les lois de Jésus-Christ n’ont pas toutes la sanction des peines et des récompenses, parce que cette sanction étoit inutile à une religion dont la base portoit sur l’amour et non sur la crainte, qui exigeoit de l’homme des sacrifices volontaires, qui lui demandoit son cœur, et vouloit le lui devoir.

Tout est précepte pour un véritable chrétien : il sait, qu’il est obligé de se servir de tous les moyens qui peuvent le conduire à la plus grande perfection, à laquelle il est appelé. Il regarde la sainteté comme un but, qu’il n’atteindra jamais, à la vérité, mais qu’il doit toujours tâcher d’atteindre.

Le bien, en fait de religion, est toujours le mieux. Le chrétien ne peut parvenir à la perfection absolue ; mais

  1. V. les chapitres VI et VII du livre XXIV.