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LETTRE D’HELVÉTIUS

A MONTESQUIEU,

SUR SON MANUSCRIT

DE L’ESPRIT DES LOIS [1].

__________


Sans date.


J’ai relu jusqu’à trois fois, mon cher président, le manuscrit que vous m’avez fait communiquer. Vous

  1. On a imprimé dans plusieurs papiers publics que M. Helvétius, lors du grand succès de l'Esprit des Lois, en avoit témoigné sa surprise à quelques-uns de ses amis intimes. Voici l’anecdote telle qu’on la tient de M. Helvétius. Il étoit l’ami du président de Montesquieu, et passoit beaucoup de temps avec lui dans sa terre de la Brède, pendant sa tournée de fermier général. Dans leurs conversations philosophiques, le président communiquoit à son ami ses travaux sur l'Esprit des Lois. Il lui fit ensuite passer le manuscrit avant de renvoyer à l’impression. Helvétius, qui aimoit l’auteur autant que la vérité, fut alarmé, en lisant l’ouvrage, des dangers qu’alloit courir la réputation de Montesquieu. Il avoit souvent combattu de vive voix et par lettres, des opinions qu’il croyoit d’autant plus dangereuses, qu’elles alloient être consacrées en maximes politiques par un des plus beaux génies de la France, et dans un livre étincelant d’esprit et rempli des plus grandes vérités. Sa modestie naturelle et son admiration pour l’auteur des Lettres Persanes le mettant en défiance de son propre jugement, il pria Montesquieu de permettre qu’il communiquât son manuscrit à un ami commun, M. Saurin, auteur de Spartacus, esprit solide et profond, que tous deux estimoient comme l’homme le plus vrai et le juge le plus impartial. Saurin fut du même avis qu’Helvétius. Quand l’ouvrage eut paru, et qu’ils en virent le prodigieux succès, sans changer d’opinion, ils se turent en respectant celle du public et la gloire de leur ami. (Note extraite de l’édition de 1795, 12 vol. in-18.)