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A MONTESQUIEU.


tant à la Brède, je convenois qu’ils s’appliquoient à l’état actuel ; mais qu’un écrivain qui vouloit être utile aux hommes, devoit plus s’occuper de maximes vraies dans un meilleur ordre de choses à venir, que de consacrer celles qui sont dangereuses, du moment que le préjugé s’en empare pour s’en servir et les perpétuer. Employer la philosophie à leur donner de l’importance, c’est faire prendre à l’esprit humain une marche rétrograde, et éterniser des abus que l’intérêt et la mauvaise foi ne sont que trop habiles à faire valoir. L’idée de la perfection ne fait à la vérité qu’amuser nos contemporains ; mais elle instruit la jeunesse et sert à la postérité. Si nos neveux ont le sens commun, je doute qu’ils s’accommodent de nos principes de gouvernement, et qu’ils adaptent à des constitutions, sans doute meilleures que les nôtres, vos balances compliquées de pouvoirs intermédiaires. Les rois eux-mêmes, s’ils s’éclairent sur leurs vrais intérêts (et pourquoi ne s’en aviseroient-ils pas ?), chercheront, en se débarrassant de ces pouvoirs, à faire plus sûrement leur bonheur et celui de leurs sujets.

Au lieu qu’en Europe, aujourd’hui la moins foulée des quatre parties du monde, qu’est un souverain, alors que toutes les sources des revenus publics se sont égarées dans les cent mille canaux de la féodalité, qui les détourne sans cesse à son profit ? La moitié de la nation s’enrichit de la misère de l’autre ; la noblesse insolente cabale ; et le monarque qu’elle flatte en est lui-même opprimé sans qu’il s’en doute. L’histoire, bien méditée, en est une leçon perpétuelle. Un roi se crée des ordres intermédiaires ; ils sont bientôt ses maîtres, et les tyrans de son peuple. Comment contiendroient-ils le despotisme ? Ils n’aiment que l’anarchie pour eux, et ne sont jaloux que de leurs