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DE L’ESPRIT DES LOIS.


Conrad II commença à régner en 1024, les choses se trouvèrent encore en Allemagne comme elles étoient déjà en France sous le règne de Charles le Chauve, qui mourut en 877. Mais en France, depuis le règne de Charles le Chauve [1], il se fit de tels changements, que Charles le Simple se trouva hors d’état de disputer à une maison étrangère ses droits incontestables à l’empire ; et qu’enfin, du temps de Hugues Capet, la maison régnante, dépouillée de tous ses domaines, ne put pas même soutenir la couronne.

La foiblesse d’esprit de Charles le Chauve mit en France une égale foiblesse dans l’État [2]. Mais comme Louis le Germanique son frère, et quelques-uns de ceux qui lui succédèrent, eurent de plus grandes qualités, la force de leur État se soutint plus longtemps.

Que dis-je ? Peut-être que l’humeur flegmatique, et, si j’ose le dire, l’immutabilité de l’esprit de la nation allemande, résista plus longtemps que celui de la nation françoise à cette disposition des choses, qui faisoit que les fiefs, comme par une tendance naturelle, se perpétuoient dans les familles.

J’ajoute que le royaume d’Allemagne ne fut pas dévasté, et, pour ainsi dire, anéanti, comme le fut celui de France, par ce genre particulier de guerre que lui firent les Normands et les Sarrasins. Il y avoit moins de richesses en Allemagne, moins de villes à saccager, moins de côtes à parcourir, plus de marais à franchir, plus de forêts à pénétrer. Les princes, qui ne virent pas à chaque instant l’État prêt à tomber, eurent moins besoin de leurs vassaux, c’est-à-dire en dépendirent moins. Et il y a apparence que si les empereurs d'Alle-

  1. A. B. sous le règne de Charles le Chauve.
  2. A : mit une égale foiblesse dans l’état de la France.