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ÉLOGE DE BERWICK.

plus près ce qu’ils sont. Je ne connois que sa vie privée : je n’ai point vu le héros, mais l’homme dont le héros est parti.

Il aimoit ses amis : sa manière étoit de rendre des services sans vous rien dire ; c’étoit une main invisible qui vous servoit.

Il avoit un grand fonds de religion. Jamais homme n’a mieux suivi ces lois de l’Évangile qui coûtent le plus aux gens du monde ; enfin jamais homme n’a tant pratiqué la religion, et n’en a si peu parlé. Il ne disoit jamais de mal de personne : aussi ne louoit-il jamais les gens qu’il ne croyoit pas dignes d’être loués. Il haïssoit ces disputes qui, sous prétexte de la gloire de Dieu, ne sont que des disputes personnelles. Les malheurs du roi, son père, lui avoient appris qu’on s’expose à faire de grandes fautes lorsqu’on a trop de crédulité pour les gens même dont le caractère est le plus respectable.

Lorsqu’il fut nommé commandant en Guienne, la réputation de son sérieux nous effraya ; mais à peine y fut-il arrivé, qu’il y fut aimé de tout le monde ; et il n’y a pas de lieu où ses grandes qualités aient été plus admirées…

Personne n’a donné un plus grand exemple du mépris que l’on doit faire de l’argent. Il avoit une modestie dans toutes ses dépenses qui auroit dû le rendre très à son aise, car il ne dépensoit en aucune chose frivole : cependant il étoit toujours arriéré, parce que, malgré sa frugalité naturelle, il dépensoit beaucoup. Dans ses commandements, toutes les familles angloises ou irlandoises pauvres, qui avoient quelque relation avec quelqu’un de sa maison, avoient un espèce de droit de s’introduire chez lui ; et il est singulier que cet homme, qui savoit mettre un si grand ordre dans son armée, qui avoit tant de justesse dans ses