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LETTRES FAMILIÈRES.


LETTRE LIV.


AU MÊME.


Ma lettre, à laquelle vous venez de répondre, a fait un effet bien différent que je n’attendois : elle vous a fait partir, et moi je comptois qu’elle vous feroit rester jusqu’à ce que vous eussiez reçu des nouvelles du départ de mon manuscrit ; au moins étoit-ce le sens littéral et spirituel de ma lettre. Depuis ce temps, ayant appris le passage du Var, je fis réflexion que vous étiez Piémontois, et qu’il étoit désagréable pour un homme qui ne songe qu’à ses études et à ses livres, et point aux affaires des princes, de se trouver dans un pays étranger, dans des conjonctures pareilles à celles-ci ; de sorte que vous prendriez peut-être le parti de retourner dans votre pays, sur-tout s’il est vrai que votre bon ami, le marquis d’Orméa, est mort, ou n’a plus de crédit [1] comme le bruit en court. Je parlai à notre ami Gendron [2] de la situation désagréable dans laquelle cela vous mettoit, et il pense comme moi. Mais nous espérons qu’à la paix, vous pourrez jouir tranquillement de l’aménité de la France, que vous aimez, et où l’on vous aime. Peut-être, mon cher ami, ai-je porté mes scrupules trop loin ; sur cela vous êtes prudent et sage.

Du reste, dans la situation présente, je ne crois pas

  1. L’un et l’autre étoit vrai. Lorsque je passois à Turin, on me dit que ce ministre s’apercevant que son crédit étoit fort baissé, tomba dans une maladie lente, et qu’il mourut au milieu des douleurs et des rugissements. (GUASCO.)
  2. Sur le médecin Gendron, voyez inf. Lettre à Mgr Cerati, du 28 mars 1748, note 1.