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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE LXXVII.


BILLET AU MÊME,


A SON LOGIS.


Monsieur d’Estoutevilles [1] , mon cher Abbé, me persécute pour que je vous engage de lui accorder une heure fixe tous les soirs, pour achever la lecture et la correction de sa traduction de Dante. Il promet de s’en rapporter à vous pour tous les changements [2] que vous jugerez à propos qu’il fasse ; et il ne vous demande grâce que pour sa préface [3] ; vous savez qu’il a son style particulier, auquel il ne renonce pas, même quand il parle aux ministres [4].

  1. Le comte Colbert d’Estoutevilles, petit-fils du grand Colbert, homme d’esprit, mais tourné à la singularité, conçut le projet de traduire le Dante en françois ; il avoit depuis longtemps exécuté ce projet par une traduction en prose, sur laquelle il se réservoit de consulter quelque Italien ; cette traduction n’a pas été imprimée a. (GUASCO.)
  2. Ce traducteur avoit inséré beaucoup de pensées et de choses, tirées des commentaires de ce poëte, et il n’étoit pas toujours docile dans les corrections à faire ; ce qui avoit fait abandonner cette lecture. (G.)
  3. Elle est fort singulière et fort courte. Il dit que, dans son enfance, sa mie lui a souvent parlé de paradis, d’enfer et de purgatoire, sans lui en donner aucune idée ; qu’avancé en âge, ses précepteurs lui ont souvent répété les mêmes choses sans l’éclairer davantage ; que, dans l’âge mûr, il a consulté différents théologiens et qu’ils l’ont laissé dans la même obscurité ; mais qu’ayant fait un voyage en Italie, il a trouvé que le premier poëte de cette nation étoit le seul qui l’eût satisfait sur la nature de ces trois demeures de l’autre monde ; ce qui l’avoit déterminé de le traduire en françois pour être utile à ses concitoyens. (G.)
  4. Il demandoit un jour quelque chose à M. de Chauvelin, alors garde des sceaux, touchant le procès qu’il avoit pour le duché d’Estoutevilles qu’on lui contestoit ; ce ministre s’étoit servi de ces termes en lui parlant :

    a. Elle a paru en 1796 ; c’est la première traduction complète de la Divine Comédie. Moutonnet et Rivarol n’avaient traduit que l'Enfer.