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LETTRES FAMILIÈRES.


si les esclaves seroient utiles à la petite partie riche et voluptueuse de chaque nation ; sans doute qu’ils lui seroient utiles ; mais il faut prendre un autre point de vue, et supposer que dans chaque nation, dans chaque ville, dans chaque village, on tirât au sort pour que la dixième partie qui auroit les billets blancs fût libre, et que les neuf dixièmes qui auroient les billets noirs fussent soumises à l’esclavage de l’autre, et lui donnassent un droit de vie et de mort, et la propriété de tous leurs biens. Ceux qui parlent le plus en faveur de l’esclavage seroient ceux qui l’auroient le plus en horreur, et les plus misérables l’auroient en horreur encore. Le cri pour l’esclavage est donc le cri des richesses et de la volupté, et non pas celui du bien général des hommes ou celui des sociétés particulières [1].

Qui peut douter que chaque homme ne soit pas bien content d’être le maître d’un autre ? Cela est ainsi dans l’état politique, par des raisons de nécessité : cela est intolérable dans l’état civil.

J’ai fait sentir que nous sommes libres dans l’état politique, par la raison que nous ne sommes point égaux. Ce qui rend certains articles du livre en question obscurs et ambigus, c’est qu’ils sont souvent éloignés d’autres qui les expliquent, et que les chaînons de la chaîne que vous avez remarquée sont très-souvent éloignés les uns des autres.

« Liv. XIX, chap. IX. L’orgueil est un dangereux ressort pour un gouvernement. La paresse, la pauvreté, l’abandon de tout, en sont les suites et les effets ; mais l’orgueil n'é-

  1. Dans l'édition de 1758, Montesquieu a fait de ce passage le chapitre IX du livre XV.