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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE CXL.


AU CHEVALIER D'AYDIES [1].


Mon cher chevalier, Mme du Deffand m’a fait part d’une lettre de vous [2] qui m’a comblé de joie, parce qu’elle me fait voir que vous m’aimez beaucoup, et que vous m’estimez un peu. Or, l’amitié et l’estime de mon cher chevalier, c’est mon trésor. Je voudrois bien que vous fussiez ici, vous nous manquez tous les jours ; à présent que je vieillis à vue d’œil [3], je me retire, pour ainsi dire, dans mes amis.

Bulkeley est au comble de ses veux ; son fils, pour lequel il est aussi sot que tous les pères, vient d’avoir le régiment [4] ; j’en suis en vérité bien aise : voilà sa fortune faite. M. Pelham, qui étoit à peu près le premier ministre d’Angleterre, est mort. C’est un ministre honnête homme, de l’aveu de tout le monde ; il étoit désintéressé et pacifique : il vouloit payer les dettes de la nation ; mais il n’avoit qu’une vie, et il en faut plusieurs pour ces entreprises-là.

Je suis allé voir hier une tragédie nouvelle, intitulée les Troyennes [5] ; la pièce est assez mal faite : le sujet en est beau, comme vous savez ; c’est à peu près celui qu’avoit

  1. Publiée par Pougens, an V. (Août 1797.)
  2. Correspondance inédite de Mme du Deffand. La lettre est du 28 février 1754.
  3. Œuvres posthumes, p. 258 : « à présent que je vieillis à vue d’œil, et surtout à la vue de mon œil, je me retire, etc. »
  4. Œuvres posthumes, p. 249 : « vient d’avoir son régiment. »
  5. Représentée pour la première fois au Théâtre-Français, le 11 mars 1754 : elle eut assez de succès. L'auteur était M. de Chateaubrun, maitre d’hôtel du duc d'Orléans, qui fut le successeur de Montesquieu à l'Académie françoise.