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DISCOURS

tés contre la nature, nous nous obstinons à chercher des plaisirs qui ne sont point faits pour nous, ils semblent nous fuir à mesure que nous en approchons. Une jeunesse folâtre triomphe de son bonheur, et nous insulte sans cesse ; comme elle sent tous ses avantages, elle nous les fait sentir ; dans les assemblées les plus vives toute la joie est pour elle, et pour nous les regrets. L’étude nous guérit de ces inconvénients, et les plaisirs qu’elle nous donne ne nous avertissent point que nous vieillissons.

Il faut se faire un bonheur qui nous suive dans tous les âges : la vie est si courte, que l’on doit compter pour rien une félicité qui ne dure pas autant que nous. La vieillesse oisive est la seule qui soit à charge : en elle-même elle ne l’est point ; car si elle nous dégrade dans un certain monde, elle nous accrédite dans un autre. Ce n’est point le vieillard qui est insupportable, c’est l’homme ; c’est l’homme qui s’est mis dans la nécessité de périr d’ennui, ou d’aller de sociétés en sociétés rechercher tous les plaisirs.

Un autre motif qui doit nous encourager à nous appliquer à l’étude, c’est l’utilité que peut en tirer la société dont nous faisons partie ; nous pourrons joindre à tant de commodités que nous avons, bien des commodités que nous n’avons pas encore. Le commerce, la navigation, l’astronomie, la géographie, la médecine, la physique, ont reçu mille avantages des travaux de ceux qui nous ont précédés : n’est-ce pas un beau dessein que de travailler à laisser après nous les hommes plus heureux que nous ne l’avons été ?

Nous ne nous plaindrons point, comme un courtisan de Néron, de l’injustice de tous les siècles envers ceux qui ont fait fleurir les sciences et les arts. Miron, qui fere hominum anima a ferarumque œre deprehenderat, non invenit hæredem. Notre siècle est bien peut-être aussi ingrat