Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/505

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thes ne purent supporter ce roi qui, ayant été élevé à Rome, se rendit affable[1] & accessible à tout le monde. La liberté même a paru insupportable à des peuples qui n’étoient pas accoutumés à en jouir. C’est ainsi qu’un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien, nommé Balby, étant au[2] Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu’il n’y avoit point de roi à Venise, il fit un si grand éclat de rire, qu’une toux le prit, & qu’il eut beaucoup de peine à parler à ses courtisans. Quel est le législateur qui pourroit proposer le gouvernement populaire à des peuples pareils ?


CHAPITRE III.

De la tyrannie.


IL y a deux sortes de tyrannie ; une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement ; & une d’opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la maniere de penser d’une nation.

Dion dit qu’Auguste voulut se faire appeller Romulus ; mais qu’ayant appris que le peuple craignoit qu’il ne voulût se faire roi, il changea de dessein. Les premiers Romains ne vouloient point de roi, parce qu’ils n’en pouvoient souffrir la puissance : les Romains d’alors ne vouloient point de roi, pour n’en point souffrir les manieres. Car, quoique César, les triumvirs, Auguste, fussent de véritables rois, ils avoient gardé tout l’extérieur de l’égalité, & leur vie privée conte-

  1. Prompt aditus, nova comitas, ignotæ Parthis virtutes nova vitia. Tacite.
  2. Il en a fait la description en 1596, Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tome III, part. I, pag. 33.