Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/128

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J’ai résolu de me faire aimer de mon mari, à quelque prix que ce soit : je le ferai si bien enrager qu’il faudra bien qu’il me donne des marques d’amitié. Il ne sera pas dit que je ne serai pas battue, et que je vivrai dans la maison sans que l’on pense à moi. La moindre chiquenaude qu’il me donnera, je crierai de toute ma force, afin qu’on s’imagine qu’il y va tout de bon, et je crois que, si quelque voisin venoit au secours, je l’étranglerois. Je vous supplie, ma chère mère, de vouloir bien représenter à mon mari qu’il me traite d’une manière indigne. Mon père, qui est un si honnête homme, n’agissoit pas de même, et il me souvient, lorsque j’étois petite fille, qu’il me sembloit quelquefois qu’il vous aimoit trop. Je vous embrasse, ma chère mère. »

Les Moscovites ne peuvent point sortir de l’empire, quand ce seroit pour voyager. Ainsi, séparés des autres nations par les lois du pays, ils ont conservé leurs anciennes coutumes avec d’autant plus d’attachement qu’ils ne croyoient pas qu’il fût possible d’en avoir d’autres.

Mais le prince qui règne à présent a voulu tout changer ; il a eu de grands démêlés avec eux au sujet de leur barbe : le clergé et les moines n’ont pas moins combattu en faveur de leur ignorance.

Il s’attache à faire fleurir les arts, et ne néglige rien pour porter dans l’Europe et l’Asie la gloire de sa nation, oubliée jusques ici et presque uniquement connue d’elle-même.

Inquiet et sans cesse agité, il erre dans ses vastes États, laissant partout des marques de sa sévérité naturelle.