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penser qu’elle est éternelle. Erreur philosophique, verbale plutôt que réelle, et d’ailleurs indifférente dans la conduite des affaires humaines.

En somme, Montesquieu fait deux parts dans les choses : l’une, physique, régie par des lois fatales ; l’autre morale, humaine, subordonnée à la première, et régie par la justice. De ces principes dérivent ses opinions philosophique et religieuses.

Les subtilités métaphysiques lui donnent la nausée. Logique et catégories d’Aristote, Scot, Paracelse, Avicenne, Averroës, Porphyre, Plotin, Jamblique, il fait infuser tout cela, non sans amusante irrévérence, et en compose pour son médecin de province un violent purgatif (CXLIII). Néanmoins il est déiste, irréligieux, à la façon de Voltaire. Et notons que, de son temps, c’était à peine décent. Le déisme n’a jamais été qu’un euphémisme ; et le dieu d’Usbek, « s’il y a un dieu » (LXXXIII) n’est pas gênant : car il est soumis dans le monde physique aux lois immuables et fatales, dans le monde moral à la justice. La prescience lui est refusée, parce qu’elle détruit la liberté humaine, agent nécessaire de la justice (LXIX). Mais qu’est-ce qu’un Dieu sans miracles et sans grâce efficace ? que deviennent la prière, le culte ? Où est l’office, l’utilité quelconque des religions ?

Sous le masque léger de ses Persans, Montesquieu traite avec une extrême liberté les dogmes, le Coran, les Écritures dont les commentateurs font tout ce qu’ils veulent (CXXXIV) ; les casuistes (LVII), les ascètes, les prophètes, les mystiques, dont les œuvres infusées constituent un excellent vomitif (CXXXIV, CXLIII) ; les légendes relatives à la naissance, à la mission, à l’enseignement de Mahomet ou d’Ali, « le plus beau des hommes » (le messie) (XXXIX) ; les chapelets, les rosaires, les pèlerinages, les menues cérémonies ridicules ou insignifiantes, les prescriptions relatives aux jeûnes et aux viandes immondes (XVII, XXIX, XLVI.) Il attaque, avec un sérieux comique, la maxime : hors de l’église point de salut. Il raille l’embarras des religions à déterminer la nature des plaisirs[1] réservés aux élus, par suite de la résurrection de la chair (XXXV), et ridiculise les paradis par la scabreuse peinture des voluptés

  1. Voir dans l’Étude sur les doctrines sociales du christianisme, par Yves Guyot et Sigismond Lacroix (in-12, Brouillet éditeur) les curieuses promesses des premiers pères : « Les jeunes filles s’y divertiront (dans le Paradis) avec de jeunes garçons ; les vieillards auront les mêmes privilèges, et leurs chagrins se convertiront en plaisirs… » Irénée.

    « Pendant mille ans, les justes qui seront vivants au moment de la Jérusalem céleste y procréeront un nombre infini d’enfants qui seront saints et chers à Dieu. » Lactance.