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les honnêtes gens. » Voilà l’élection ajournée à huitaine. Un candidat sérieux, l’avocat Mathieu Marais, se présente dans l’intervalle. Montesquieu est tenace ; il donne de sa personne ; il court droit à l’ennemi ; (c’est-à-dire qu’il va voir le cardinal) et le gagne à sa cause. Sur l’heure, Fleury fait savoir qu’après les éclaircissements donnés par le président, « il n’empêchoit point l’Académie de l’élire. » Deux scrutins, non sans boules noires (20 décembre et 5 janvier) donnèrent enfin la majorité à Montesquieu. Les adversaires ne s’étaient pas découragés et, la veille du deuxième tour, ils travaillaient encore contre « ce fou. » La partie ne fut décidée que le matin même par une lettre ministérielle que M. Vian a raison de citer comme un chef-d’œuvre du genre.

« Il me paroît, monsieur, » écrivait Fleury au secrétaire perpétuel, « que la manière dont vous avez dressé le registre le 11 décembre est très-sage et très-mesurée. Il y a certaines choses qu’il vaut mieux ne pas approfondir, par les suites qu’elles peuvent avoir, et si on vouloit aller plus loin, on ne diroit pas assez ou on diroit trop. La soumission de M. le président de Montesquieu a été si entière, qu’il ne mérite pas qu’on laisse aucun vestige de ce qui pourroit porter préjudice à sa réputation, et tout le monde est si instruit de ce qui s’est passé, qu’il n’y a aucun inconvénient à craindre du silence que gardera l’Académie.

« Voilà mon sentiment, et je ne prétends point le donner comme une décision. Je serois bien fâché de vouloir jamais m’ériger en juge de ce que pourra faire la compagnie. En général, je ne puis m’empêcher de penser que le parti de prévenir les tracasseries est toujours le plus prudent. »

L’élection, approuvée le 8 janvier, consacrée par la réception le 24 janvier 1728, fut pour Montesquieu une satisfaction d’amour-propre, et rien de plus. Trois séances suffirent pour confirmer le nouvel académicien résidant dans ses projets de voyages lointains. Dès avril 1728, il partit pour Vienne avec un homme d’État anglais.

« Le lecteur, qui, dit M. Vian, aime les dénouements moraux, au moins chez les autres, s’étonne sans doute que Montesquieu n’ait pas fait expier à quelqu’un les ennuis qu’il venait d’éprouver. » Il ne se refusa pas le plaisir d’une fine et discrète vengeance. « Tout le monde savait que le P. Tournemine aimait passionnément la célébrité. Dès lors, chaque fois qu’on prononça devant Montesquieu le nom de ce jésuite, il prit soin de dire : Le père Tournemine ? Je n’en ai jamais entendu parler. »

Ainsi donc Montesquieu était académicien de par les Lettres persanes, malgré les Lettres persanes. Elles demeuraient sous-