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leur procurer toutes sortes de superfluités avec autant d’attention que les nécessités de la vie.

De Paris, le 14 de la lune de Chalval 1717.

LETTRE CVIII.

RICA À IBBEN.
À Smyrne.


Jai vu le jeune monarque : sa vie est bien précieuse à ses sujets ; elle ne l’est pas moins à toute l’Europe, par les grands troubles que sa mort pourroit produire. Mais les rois sont comme les dieux ; et, pendant qu’ils vivent, on doit les croire immortels. Sa physionomie est majestueuse, mais charmante : une belle éducation semble concourir avec un heureux naturel, et promet déjà un grand prince.

On dit que l’on ne peut jamais connoître le caractère des rois d’Occident jusques à ce qu’ils aient passé par les deux grandes épreuves, de leur maîtresse, et de leur confesseur. On verra bientôt l’un et l’autre travailler à se saisir de l’esprit de celui-ci ; et il se livrera pour cela de grands combats. Car, sous un jeune prince, ces deux puissances sont toujours rivales ; mais elles se concilient et se réunissent sous un vieux. Sous un jeune prince, le dervis a un rôle bien difficile à soutenir : la force du roi fait sa faiblesse ; mais l’autre triomphe également de sa faiblesse et de sa force.