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concubines n’a pas trop d’autant d’eunuques pour les garder. Mais quelle perte pour la société que ce grand nombre d’hommes morts dès leur naissance ! Quelle dépopulation ne doit-il pas s’en suivre !

Les filles esclaves qui sont dans le sérail pour servir avec les eunuques ce grand nombre de femmes, y vieillissent presque toujours dans une affligeante virginité : elles ne peuvent pas se marier pendant qu’elles y restent ; et leurs maîtresses, une fois accoutumées à elles, ne s’en défont presque jamais.

Voilà comment un seul homme occupe lui seul tant de sujets de l’un et de l’autre sexe à ses plaisirs, les fait mourir pour l’État, et les rend inutiles à la propagation de l’espèce.

Constantinople et Ispahan sont les capitales des deux plus grands empires du monde : c’est là que tout doit aboutir, et que les peuples, attirés de mille manières, se rendent de toutes parts. Cependant elles périssent d’elles-mêmes, et elles seroient bientôt détruites, si les souverains n’y faisoient venir, presque à chaque siècle, des nations entières pour les repeupler. J’épuiserai ce sujet dans une autre lettre.

De Paris, le 13 de la lune de Chahban 1718.