Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/88

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côté, en raison réciproque de leur vitesse et de leurs masses. Quand ils furent un peu revenus de leur étourdissement, cet homme, portant la main sur le front, dit au géomètre : Je suis bien aise que vous m’ayez heurté ; car j’ai une grande nouvelle à vous apprendre : je viens de donner mon Horace au public. Comment ! dit le géomètre, il y a deux mille ans qu’il y est. Vous ne m’entendez pas, reprit l’autre : c’est une traduction de cet ancien auteur, que je viens de mettre au jour ; il y a vingt ans que je m’occupe à faire des traductions.

Quoi ! Monsieur, dit le géomètre, il y a vingt ans que vous ne pensez pas ! Vous parlez pour les autres, et ils pensent pour vous ! Monsieur, dit le savant, croyez-vous que je n’aie pas rendu un grand service au public, de lui rendre la lecture des bons auteurs familière ? Je ne dis pas tout à fait cela : j’estime autant qu’un autre les sublimes génies que vous travestissez ; mais vous ne leur ressemblerez point ; car si vous traduisez toujours, on ne vous traduira jamais.

Les traductions sont comme ces monnoies de cuivre qui ont bien la même valeur qu’une pièce d’or, et même sont d’un plus grand usage pour le peuple ; mais elles sont toujours foibles et d’un mauvais aloi.

Vous voulez, dites-vous, faire renaître parmi nous ces illustres morts, et j’avoue que vous leur donnez bien un corps : mais vous ne leur rendez pas la vie ; il y manque toujours un esprit pour les animer.

Que ne vous appliquez-vous plutôt à la recherche de tant de belles vérités qu’un calcul facile nous fait découvrir tous les jours ? Après ce petit