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DIALOGUE DE XANTIPPE

ET DE

XÉNOCRATE

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Lorsque je quittai l’Afrique, je m’embarquai sur le vaisseau que les Carthaginois avoient donné à Xantippe pour retourner dans la Grèce, et je fus ravi de me trouver avec un homme dont la vertu étoit respectée par tout l’Univers.

Xantippe étoit modeste ; il étoit vêtu très-simplement, et, dans le navire où nous étions, on eût eu d’abord de la peine à discerner qui de nous avoit détruit les armées des Romains et rendu à Carthage la liberté et l’empire.

Il étoit affable, sans descendre à une familiarité indécente, et le respect qu’on avoit pour lui n’étoit point de la nature de celui que l’on porte aux grands, qui est moins l’effet de l’amour et de l’admiration que de la timidité et de la crainte.

Je gardai longtemps le silence ; mais, enfin, je le rompis : « Xantippe, lui dis-je, il est permis à un homme libre de parler à un Grec. Les Dieux ne vous ont pas fait vertueux pour vous seul. De qui pourrai-je apprendre à devenir meilleur, si ce n’est d’un homme tel que vous ? »