Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/50

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regarder comme ennemi un homme qui me rendoit le service de me donner bonne opinion de moi.

» Dans mes terres, avec mes vassaux, je n’ai jamais voulu souffrir que l’on m’aigrît sur le compte

5 de quelqu’un. Quand on m’a dit: « Si vous saviez les discours qui ont été tenus! — Je ne veux pas les savoir, » ai-je répondu. Si ce qu’on me vouloit rapporter étoit faux, je ne voulois pas courir le risque de le croire. S’il étoit vrai, je ne voulois pas

io prendre la peine de haïr un faquin.

» A l’âge de trente-cinq ans, j’aimois encore.

» Il m’est aussi impossible d’aller chez quelqu’un dans une vue d’intérêt, qu’il m’est impossible de voler dans les airs.

i5 » Quand j’ai été dans le monde, je l’ai aimé comme si je ne pouvois souffrir la retraite. Quand j’ai été dans mes terres, je n’ai plus songé au monde.

» Je suis (je crois) presque le seul homme qui ait fait des livres, ayant sans cesse peur de la réputa

2o tion de bel-esprit. Ceux qui m’ont connu savent que, dans mes conversations, je ne cherchois pas trop à le paroître, et que j’avois assez le talent de prendre la langue de ceux avec qui je vivois. » J’ai eu le malheur de me dégoûter très souvent

25 des gens dont j’avois le plus désiré la bienveillance. Pour mes amis, à la réserve d’un seul, je les ai toujours conservés.

» J’ai toujours eu pour principe de ne faire jamais par autrui ce que je pouvois faire par moi-même.

  • o C’est ce qui m’a porté à faire ma fortune par les moyens que j’avois dans mes mains : la modération