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Liv. I. Chap. II.

constitution de notre être. Pour les connoître bien, il faut considérer un homme avant l’établissement des sociétés. Les lois de la nature seront celles qu’il recevroit dans un état pareil.

Cette loi, qui en imprimant dans nous-mêmes l’idée d’un créateur, nous porte vers lui, est la premiere des lois naturelles par son importance, & non pas dans l’ordre de ces lois. L’homme dans l’état de nature auroit plutôt la faculté de connoître, qu’il auroit des connoissances. Il est clair que ses premieres idées ne seroient point des idées spéculatives : il songeroit à la conservation de son être, avant de chercher l’origine de son être. Un homme pareil ne sentiroit d’abord que sa foiblesse ; sa timidité seroit extrême : & si l’on avoit là-dessus besoin de l’expérience, l’on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages[1] ; tout les fait trembler, tout les fait fuir.

Dans cet état, chacun se sent inférieur ; à peine chacun se sent-il égal. On ne chercheroit donc point à s’attaquer,

  1. Témoin le sauvage qui fut trouvé dans les forêts d’Hanover, & que l’on vit en Angleterre sous le regne de George I.