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Liv. V. Chap. III.

mais ils doivent tous également lui en rendre. En naissant, on contracte envers elle une dette immense, dont on ne peut jamais s’acquitter.

Ainsi les distinctions y naissent du principe de l’égalité, lors même qu’elle paroît ôtée par des services heureux ou par des talens supérieurs.

L’amour de la frugalité borne le désir d’avoir à l’attention que demande le nécessaire pour sa famille & même le superflu pour sa patrie. Les richesses donnent une puissance dont un citoyen ne peut pas user pour lui, car il ne seroit pas égal. Elles procurent des délices, dont il ne doit pas jouir non plus, parce qu’elles choqueroient l’égalité tout de même.

Aussi les bonnes démocraties, en établissant la frugalité domestique, ont-elles ouvert la porte aux dépenses publiques, comme on fit à Athenes & à Rome. Pour lors la magnificence & la profusion naissoient du fond de la frugalité même ; & comme la religion demande qu’on ait les mains pures pour faire des offrandes aux dieux, les lois vouloient des mœurs frugales pour que l’on pût donner à sa patrie.