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L’ACHIGAN

L’ACHIGAN

(Poisson vaillant, en langue des Cris)


Black-bass. — Micropterus Dolomieu. — Micropterus salmoides.


L’achigan est sans contredit l’un des poissons d’eau douce les plus beaux, les plus vaillants de l’Amérique du nord. Sa vigueur égale celle de la truite, soit pour remonter les rapides ou les chutes, soit pour défendre sa liberté contre le pêcheur qui l’a enferré et le tient ferme au bout de sa ligne tendue comme une corde d’arc. Quoique hardi, vigoureux et entreprenant, il est resté pendant des âges dans son domaine primitif qui lui a été assigné dans l’assiette des eaux du déluge. Partie du plateau central où reposent nos grands lacs, pressée par des courants torrentueux, la troupe se partagea en deux bandes, dont l’une suivit le cours du déversoir est, qui devait se réduire au bassin du fleuve Saint-Laurent ; et l’autre, plus considérable, se dirigea vers le sud, en semant, de-ci de-là, dans de nombreux lacs et cours d’eau enchâssés dans les montagnes, ou serpentant sur leurs flancs, maintes colonies fécondes, destinées à fournir de précieuses ressources alimentaires à la race humaine. Car, durant de longs siècles, l’achigan a dû figurer dans le menu de milliers de tribus et de peuples, avant de paraître sur les marchés de nos villes ou de s’accrocher aux hameçons d’or de nos joyeux sportsmen.

Lorsque ce beau poisson abondait dans le double bassin du Mississipi, du Saint-Laurent, depuis la rivière Rouge, au Manitoba, jusqu’à la Louisiane, et depuis le lac Supérieur jusqu’à Québec, les eaux du versant est des Alleghanys, tributaires de l’Atlantique, et celles du versant ouest des montagnes Rocheuses, en étaient absolument privées. Serait-ce à dire que l’achigan a horreur du voisinage de la mer ? On le pourrait croire en ce qui concerne son habitat aux États-Unis et ici. Au Canada, vous n’en trouvez plus, passé le lac Saint-Joseph, au nord-ouest de la ville de Québec, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent ; et passé Saint-Thomas de Montmagny, vous n’en pêcherez plus, quoiqu’il n’y manque pas de lacs et de rivières qui lui seraient hospitaliers et favorables. Il n’est pas rare de capturer des dorés, des brochets, voire même des poissons-castors, dans les eaux saumâtres baignant la côte, depuis le cap Tourmente jusqu’à la Malbaie, mais de l’achigan, jamais : non seulement dans les eaux saumâtres, mais encore dans les cours d’eau et les lacs qui s’y déversent.

À l’appui de cette observation, que l’achigan a horreur de la mer et