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LES POISSONS

en voûtes verdoyantes, formant de merveilleuses allées entrecroisées en labyrinthes, où les rayons du soleil, perçant le cristal et les guipures, viennent se réfléchir sur un parquet de mica, singe de l’or, on le nomme moss bass ; le plus souvent, dans la Caroline du sud, on lui donnera les noms de chub ou de welshman, ou encore, de mountain trout et de bronze-backer. Tour à tour, et de tous côtés à la fois, lui sont décochées les dénominations de marsh bass, river bass, roch bass, slough bass, green bass, spotted bass, green perch, black perch, speckled hen, etc., etc. C’est vraiment à croire que le malheureux poisson se trouve forcé de jouer à la « chaise honteuse, » malgré lui.

Jusque-là ce n’était qu’un ondoiement fait par la main du peuple, un baptême sous condition : seule la science avait le pouvoir de conférer le baptême officiel. On vit bientôt arriver de Suède, de France et d’Allemagne des princes et des docteurs de la science, entourant l’achigan dans son berceau, pour servir de parrains à ce poisson, vieux de vingt mille ans peut-être ! lorsque les plus vieux d’entre eux — ces savants — comptaient quatre-vingts ans à peine, et leur ancêtre Adam, un peu moins de cinq mille ans. Tout de même, il fallait bien être de la fête, et ils ont eu raison de s’y rendre. La cérémonie ayant lieu dans la grande église du continent d’Amérique, au seuil de la vallée comprise entre les montagnes Rocheuses et les Alleghanys, où l’achigan se trouvait en nourrice, sous les soins de Dame Nature, on dut naturellement choisir comme enfants de chœur, porte-cierges, thuriféraires, des garçons de l’endroit. Un sportsman américain du nom de Henshall nous a rendu compte des circonstances de la cérémonie, avec une exactitude si admirable, que je me fais un devoir autant qu’un plaisir, d’analyser en quelques lignes le livre à la fois scientifique et littéraire qui lui a été inspiré par l’embryologie, la morphologie et le baptême de l’achigan. Ce registre où se trouvent inscrits les noms du Micropterus Dolomieu et du Micropterus salmoïdes, faisant de l’achigan deux frères jumeaux — mais uniques d’une même espèce — est un monument de paix, élevé sur un champ de bataille jonché de prétentions de savants de dix nations en l’honneur du génie américain resté vainqueur. Ce monument, qui fait le même honneur au vainqueur et aux vaincus, se compose en somme avec des mérites rayonnant d’ailleurs, sans doute, d’un livre de quatre cent soixante pages, portant comme inscription :


Book of the Black Bass. — Henshall.


Je fais des éloges particuliers de ce livre que je trouve consciencieux à l’extrême. Ces éloges ne me coûtent pas cher, car ils proviennent de fleurs que j’ai cueillies au pied et dans l’ombre même du monument. Mais, pour ne pas coûter cher, elles ne m’en sont pas moins chères — les