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LES POISSONS

à portée, de crainte que d’un coup de sa queue sur les flancs de l’embarcation il ne rompe la ligne et ne s’échappe juste au moment psychologique.

Depuis une quinzaine d’années, les sileux se sont de plus en plus rares. Cela vient de ce que les pêcheurs à la seine détruisent une quantité prodigieuse de petits bars, et surtout, de ce qu’on permet la vente de ces poissons sur nos marchés avant qu’ils aient atteint une longueur d’au moins dix pouces. Il serait opportun de réglementer au plus tôt à ce sujet, si l’on veut conserver cette espèce de poisson précieux par l’exquise saveur de sa chair.

Si nous imitions le Nouveau-Brunswick, en prohibant absolument la pêche au bars, pendant quelques années, dans les eaux du fleuve Saint-Laurent, il est raisonnable de croire que ce qui se voit à Miramichi — une restauration complète de ce beau poisson — se répéterait ici. Après une courte pénitence, nous retrouverions les joies et les plaisirs d’un sport disparu mais non oublié, en même temps qu’une abondance d’autant plus regrettée que nous sommes menacés d’une disette complète. Ouvrez nos derniers rapports officiels (1895), et vous y constaterez que le bars est disparu de la liste des poissons de Québec, au moment même où il ressuscite glorieusement sur les plages du Nouveau-Brunswick. Les habitants de la côte du sud et les sportsmen du Canada, tous les consommateurs de Québec bénéficieraient d’une pareille loi, qui infligerait, du même coup, un châtiment mérité à quelques groupes de maraudeurs sans esprit et sans cœur.

Très abondante en août et septembre, la pêche au bars finit vers le milieu d’octobre, avec les premières gelées. Il est de dicton, parmi nos pêcheurs, que « la gelée blanche casse la gueule au bars. »

Les habitants de la côte du sud ont observé que le bars suit la masse des glaces que la débâcle du printemps pousse vers la mer. Si le gros des glaces passe par le chenal du sud, le bars abonde sur la batture ; descend-il par le chenal du nord, le bars reste dans les îles et aux Battures-Plates.

Au nombre des ennemis du bars, il faut compter au premier rang le loup marin et le marsouin. Dès qu’un marsouin vient sourdre dans un parage de pêche, il ne nous reste plus qu’à lever l’ancre et à nous éloigner — pour tenter la chance ailleurs.

J’observe qu’en 1893, pas moins de 155 marsouins ont été capturés dans le golfe Saint-Laurent, contre 97 seulement en 1894. Ce cétacé destructeur de nos meilleures espèces de poissons comestibles diminuant ainsi en nombre, finira peut-être par retourner complètement à la mer. De pareilles migrations de ces monstrueux troupeaux blancs paissant dans la plaine liquide se sont vues fréquemment ici, à la baie James, et