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LES POISSONS

calomniateurs. La pauvre grosse bête vit surtout en fouillant les vases de son museau en forme de pic ou de pelle, pour y trouver des annélides, des vers, des crustacés dont il fait sa principale nourriture. Ce n’est pas qu’il dédaigne un hareng, un maquereau, un saumoneau même, mais alors il faut qu’ils aillent s’offrir spontanément à son appétit, car autrement il ne saurait les atteindre. Une épinoche lui fait peur, la moindre petite lamproie le met en fuite ou le fait bondir à quatre ou cinq pieds hors de l’eau.

« Ces géants, dit Meunier, malgré leur force, ne sont dangereux que pour ceux qui ne peuvent se défendre, pour les vers dont ils s’emparent en fouillant la vase avec leur museau, pour les harengs, les maquereaux et les gades, pour les canards et les oies sauvages, pour les saumons aussi, qui remontant le fleuve en même temps que l’esturgeon ordinaire, sont décimés par celui-ci, ce qui a fait croire qu’il en était le chef, et lui a valu le nom de conducteur de saumons. C’est donc une espèce non dangereuse pour l’homme ; aussi jouit-il parmi nous de la réputation d’un animal paisible ; sans doute, les harengs et les oies en pensent différemment. »


DES GANOÏDES


Pourquoi donc l’esturgeon, si puissant, si massif que de son poids seul il en impose à tous les poissons les plus voraces, se trouve-t-il ainsi condamné à porter à perpétuité une armure formidable ?

C’est une longue histoire à raconter, dont le premier mot est accroché quelque part dans les terrains dévoniens, à la carcasse fossile d’un ganoïde, pendant que ses derniers descendants vaguent encore dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. De 700 espèces de ganoïdes relevées dans les couches géologiques du globe terrestre, il n’en existe plus que trois, et toutes trois habitent les eaux du Canada. Il n’en reste que deux aux États-Unis, une seule en Europe, une seule au centre de l’Afrique.

Que faut-il entendre par ganoïdes ?

À cette question, le Dr Sauvage répond :

« Les poissons antérieurs à la formation crétacée ont les écailles comme osseuses, revêtues d’une couche de matière brillante ; l’aspect de ces écailles est tout à fait différent de celui des écailles des poissons ordinaires ; tous ces poissons ont été désignés sous le nom de ganoïdes. »