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LES POISSONS

curiosité publique. Belon rapporte que lors du séjour de François Ier à Montargis, on lui présenta un esturgeon de dix-huit pieds de longueur que l’on venait de capturer dans la Loire.

Dans le nouveau monde, reprend le Dr Sauvage, la zone d’habitation de l’esturgeon est très vaste au nord ; mais ils n’ont pas été trouvés en Amérique, dans les eaux qui alimentent l’océan Glacial arctique ; en Asie, au contraire, ces eaux sont fréquemment visitées par les esturgeons.

D’après les observations que j’ai pu faire, je ne doute pas que l’esturgeon du golfe Saint-Laurent, depuis son embouchure jusqu’à la ville de Québec, ne soit migrateur, qu’il vienne de la mer pour frayer dans le fleuve et ses tributaires. J’en ai vu souvent sur l’une et l’autre rive, du poids de trois à quatre cents livres, soit sur la côte nord, soit à Montmagny ou à Beaumont. Ceux-là avaient le museau excessivement émoussé, et leur peau était d’un gris sale à grains grossiers. Depuis Québec jusqu’aux grands lacs, je n’ai jamais vu d’esturgeon de plus de cent vingt livres, et dans les élargissements du fleuve formant les lacs Saint-Pierre, Saint-Louis et Saint-François, ce poisson, de la forte variété appelée camus, revêt une peau brune satinée et presque lisse, dès les eaux bourbeuses du printemps, toilette soignée qu’il conserve jusqu’aux glaces de l’hiver. Je suis d’avis qu’il ne se rend pas à la mer, qu’il hiverne dans des fosses profondes au pied des rapides où l’eau bien battue renouvelle constamment sa portion d’oxygène, et ce qui me confirme dans cette opinion, c’est qu’il apparaît en remonte dès le mois de mai, dans le premier découvert laissé par les glaces. Aurait-il eu le temps de venir de la mer ? Il faudrait pour le croire qu’il se fût réveillé plus tôt, de huit jours au moins, que le saumon et les moxostômes voisins qui l’accompagnent ; ce dont je doute fort.

Je crois que les esturgeons qui remontent de la mer, déposent leurs œufs en juin et juillet sur des battures de roches ou de sable, dans les courants rapides des rivières ou dans les premières eaux douces du fleuve, sur les battures de l’île d’Orléans et des îles environnantes, puis regagnent la mer sans plus de souci de leur progéniture abandonnée aux soins de la mère commune, la Nature. En 1886, je vis des milliers et des milliers de petits esturgeons variant de douze à vingt pouces, échoués à sec et morts, dans les pêches en treillis de Montmagny tendues pour la capture du bars, au printemps, et restées debout sans issue libre, pour la destruction de tous les poissons qui peuvent s’y aventurer au cours de l’été. Ce serait une sage précaution que d’ordonner l’enlèvement de l’encoignure de ces pêches au moment où elles ne servent plus et de prohiber la vente de tout esturgeon de moins de trente livres. Il est à remarquer que depuis Québec jusqu’au lac Ontario, il se prend plus rarement, soit à la nasse, soit à la seine, de ces petits esturgeons de