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L’ESTURGEON

quinze à vingt pouces dont les cadavres décomposés jonchent si souvent les grèves au-dessous de Québec.

L’esturgeon des grands lacs est plus estimé par les Américains que par les Canadiens. C’est aux États-Unis qu’il trouve son meilleur marché, de 7 à 10 sous pour la chair, et de 15 à 20 sous pour le caviar. Un esturgeon de soixante livres donnera trente livres de viande et de huit à dix livres d’œufs. Il y a à peine quinze ans, les Ontariens avaient ce poisson en si piètre estime que, le trouvant dans leurs pêches ou leurs filets, ils l’éventraient d’un coup de couteau et le rejetaient palpitant dans le lac. Par un juste châtiment, l’esturgeon, recherché aujourd’hui, diminue d’année en année. On attribue cela, généralement, au défrichement des terres traversées par les rivières à esturgeons, qui a réduit nombre de rivières à de minces proportions ; mais je crois plutôt au défaut d’une saison réservée et aux ravages du gasparot introduit par erreur dans le lac Ontario, en guise de l’alose, à la grande satisfaction et réfection de la truite grise et du doré, mais au grand détriment de la gent sturionienne et des poissons-blancs.


PRÉPARATION CULINAIRE DE L’ESTURGEON


L’esturgeon se mange le plus souvent frais, dans notre province, quoiqu’il apparaisse par quartiers fumés sur le marché de Montréal. Jetez un esturgeon noir ou gris sur des tisons ardents, et dans un clin d’œil, dépouillé de sa peau tombant en loques, vous retirez un poisson à côtes rosées et blanches, de la vue la plus appétissante, que vous rôtissez en steak ou passez à la sauce blanche. Essayez-le à l’étuvée, la prochaine fois, avec un morceau de lard de côte et des pommes de terre de l’année, le tout cuit à l’étuvée, et vous m’en direz des nouvelles.

C’est surtout en Europe qu’on sait le cuire à tous les feux, à toutes les sauces. Écoutons encore ce que dit le Dr Sauvage à ce sujet :

« Partout la pêche à l’esturgeon est très active ; tout, dans ce poisson, en effet, est utile ; la peau, la chair, les cartilages, la corde dorsale, les œufs, la graisse, la vessie natatoire.

« La chair de l’esturgeon est une précieuse ressource alimentaire pour les peuplades d’Europe et d’Asie. On emploie trois procédés principaux pour conserver ce poisson : on le gèle, on le sèche simplement, ou on le sale et on le sèche ensuite ; dans les lieux de pêche, ou à peu de distance, on le mange frais. Le poisson gelé a presque toutes les qualités