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LES POISSONS

du poisson frais, ce qui permet de le vendre plus cher ; aussi l’Oural fournit-il, en moyenne, pour 525,000 roubles de poisson gelé contre 675,000 de poisson salé.

« Le balyk, essentiellement spécial à la Russie, se prépare surtout sur la partie sud de la mer Caspienne ; ce n’est au fond que du poisson salé, puis séché à l’air ; mais on met tant de soins et de précautions à cette préparation, que le poisson en acquiert un goût tout à fait spécial et jugé exquis. On choisit pour cela les esturgeons les plus gras ; on leur ôte la tête et la queue, ainsi que le ventre et les parties latérales du corps, ne conservant que le dos ; les parties séparées sont salées à la manière ordinaire ; le dos de l’esturgeon resté entier est mis à mariner dans des auges en bois de noyer pleines d’une saumure à laquelle on ajoute du salpêtre, et parfois du poivre, des feuilles de laurier, des clous de girofle. Lorsque les pièces ont été suffisamment imprégnées de sel, on les retire des auges, on les lave à l’eau douce, puis on les fait sécher, d’abord au soleil puis à l’ombre, dans des hangars exposés à tous les vents.

« Le viaziga ou visaga consiste dans la corde dorsale de l’esturgeon séchée à l’air ; après avoir retiré les œufs et la vessie natatoire, l’on fait une incision, suivant la longueur du poisson, et l’on retire la corde, bien débarrassée du sang qui la souille, par de nombreux lavages ; elle est étirée et pressée, de manière à perdre toute sa substance visqueuse puis les cartilages sont rincés, jusqu’à ce qu’ils soient devenus très blancs, enfin séchés. Cette substance gonfle beaucoup, lorsqu’on la cuit dans l’eau ; on l’emploie seule ou avec de la chair de poisson pour garnir les pâtés ; c’est son unique emploi. »

Étant enfant, je me faisais donner ces cordes dorsales de l’esturgeon, cordes tubulaires remplies d’un chapelet de graines gélatineuses, que nous chassions une à une, sous la pression des doigts, par sa plus forte extrémité coupée à la tête ; une fois vide, nous encapuchonnions la corde par son ouverture la plus large, sur une hart, et nous en faisions des fouets qui tiraient de nos gosiers des hourras retentissants, et du gosier des chiens fouettés, des hurlements lamentables. Eussé-je été en Russie — et boyard, bien entendu — j’en eusse fait des knouts. Et dire que les Russes, eux, en sont leurs délices !

« Dans la Vénétie, on coupe en morceaux l’épine dorsale de l’esturgeon, on la sale et on la fait fumer ; c’est ce que l’on nomme la chinalia ou spinachia, et c’est un mets goûté.

« Le kouardouk des Turcomans est une préparation de lanières du grand hausen, cuite dans la graisse du poisson conservée dans sa vessie, et dont ils font une soupe délicieuse. »