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LES POISSONS

l’ornement du repas des dieux. » Pline le qualifie « le plus noble de tous les poissons. » Au moyen âge, tous les esturgeons pêchés en Angleterre appartenaient au roi ; en France, quelques chartes attribuaient le même privilège aux seigneurs. Au Canada même, les lois françaises en faisaient une réserve en faveur des gouverneurs du pays. L’histoire ne dit pas qu’ils en aient jamais eu d’indigestion.

Nous avons sous les yeux, de nos jours, des exemples autrement admirables, des soins quasi religieux dont les Russes, les Cosaques, les Kirghis et autres tribus nomades constamment ballottées entre l’Europe et l’Asie, entourent ce précieux animal. Dans ces lacs d’eau salée qui occupent le centre de l’ancien monde, comme pendant des mers d’eau douce du nouveau monde, l’esturgeon a établi de tout temps ses quartiers généraux. « De la mer Noire, il remonte dans le Dniéper, le Dneister et le Danube ; de la mer d’Azof, il gagne le Don ; de la mer Caspienne, il pénètre dans l’Oural, le Volga, le Kour et le Térek ; on le pêche aussi dans la mer d’Aral. » Il est là dans son double élément : l’eau douce des rivières où il dépose ses œufs, qui adoucit l’âcreté de sa chair, et l’eau salée des lacs où il acquiert son plus grand développement. S’il atteint des proportions plus fortes dans l’eau salée, comme aliment il devient d’une incontestable supériorité en eau douce. Il ne dépassera pas le poids de 120 livres en eau douce, pendant qu’il se rendra à plus de 400, 1,000 et 2,000 livres en eau salée. Notre rubicundus des grands lacs du Canada, comparé au transmontanus de la Colombie ou au beluga de la mer Caspienne, est une exacte illustration de cette théorie proportionnelle.

Allez à Terre-Neuve, et si l’on vous y parle du poisson, soyez sûr qu’il s’agit de la morue. Pour le pêcheur des bancs, pour le commerçant, l’agent de change, le courtier de Saint-Jean ou de Saint-Pierre-Miquelon, il n’existe qu’un seul poisson, c’est la morue. Ne touchez pas à la morue ! On peut en dire autant des régions limitrophes de l’Europe et de l’Asie dont les populations s’occupent de pêche et en tirent leur subsistance. Pour elles, il n’existe qu’un seul poisson, mais au lieu de la morue, c’est l’esturgeon. Ne touchez pas à l’esturgeon !

Chaque pays, chaque peuple chaque tribu a sa manière de pêcher et d’apprêter l’esturgeon. Nous vous ferons grâce de descriptions fastidieuses pour nous restreindre aux seuls renseignements recueillis sur l’Oural par M. Danilewski :


« La partie inférieure du cours de l’Oural sur environ 600 verstes de largeur et une des parties de la mer adjacente appartiennent aux Cosaques de l’Oural, qui comptent près de 80,000 âmes. Cette propriété s’est établie depuis longtemps et n’a été que confirmée par le gouvernement. D’après les idées des Cosaques, tout le fleuve, et la partie avoisinante de