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L’ESTURGEON

de poissons suffoqués par la masse des eaux, asphyxiés par un milieu cosmique navrant. Des espèces furent déplacées : les unes échappèrent en se réfugiant dans les profondeurs, les autres se sauvèrent en surnageant. Il advint même que certaines espèces se divisèrent, pour habiter soit les eaux douces soit les eaux salées, comme cela se voit pour le salmo salar et le huananiche, comme cela se voit aussi pour l’esturgeon Nansen, Huso, Transmontanus et autres qui font leur pérégrination annuelle des eaux salées aux eaux douces, avec retour, et pour l’esturgeon des lacs fixé à demeure en eau douce, restant, dans les deux cas, absolument les mêmes par la forme et les mœurs, mais avec une différence très prononcée de taille, l’esturgeon des lacs étant beaucoup plus petit que son congénère des mers. Y a-t-il eu accroissement ou réduction, le poisson a-t-il grandi ou rapetissé ? S’il était possible de constater que l’esturgeon habitait les eaux douces de préférence aux eaux salées, avant le déluge, on pourrait affirmer en toute assurance que l’esturgeon de mer est un poisson progressif : si, d’un autre côté, il était avéré que cet animal habitait alors la mer, il faudrait admettre qu’il a dégénéré en eau douce. C’est un cas difficultueux que la science ne saurait résoudre, parce que la dépouille fossile des poissons cartilagineux est insuffisante pour réintégrer dans l’ampleur de ses formes, ce ganoïde dont elle n’est que la pierre tombale et non pas la statue, comme cela se voit pour les téléostes : elle n’indique pas non plus l’origine ni l’habitat de l’animal qu’elle rappelle.

Quoi qu’il en soit, les esturgeons de mer comme ceux d’eau douce sont des êtres complets, aptes à se reproduire, qui ne différent entre eux par aucun caractère sérieux, sauf les proportions plus ou moins fortes. Le fait que l’esturgeon de mer vient généralement frayer en eau douce ne tire pas à conséquence ; car souvent on les voit s’arrêter en route et déposer leurs œufs sur le point même de réunion de l’eau douce à l’eau saumâtre. Autrement, s’ils revenaient toujours déposer leurs œufs en rivière, je serais d’avis qu’ils sont originaires d’eau douce et que, partant, ils ont grandi à la mer. À ce compte, l’esturgeon des lacs représenterait le type primitif de l’esturgeon, tout comme le huananiche du Labrador représente avec ses sept ou huit livres de poids, le type du majestueux saumon de l’Atlantique portant sous son corset d’argent, de quarante à cinquante livres de chair rose appétissante.

À quoi bon épiloguer sur des faits insaisissables, lorsqu’il s’en offre tant, sous les yeux de notre raison, de nature indiscutable, qui nous portent directement en route ? Je voudrais démontrer que le Canada se prête à l’élevage et au développement de l’esturgeon, tout aussi bien que le vieux monde. N’avons-nous pas pour cela les immenses cuvettes du plateau central, comprenant les cinq grands lacs Huron, Supérieur,