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L’ANGUILLE

une de quatre-vingt-quatre centimètres, présenter un nouveau rapport avec les serpents, en se jetant sur deux jeunes canards éclos de la veille et en les avalant assez facilement pour qu’on pût les retirer presque entiers de ses intestins. Dans certaines circonstances elles se contentent de la chair de presque tous les animaux morts qu’elles rencontrent au milieu des eaux ; mais elles causent souvent de grands ravages dans les rivières. M. Noël dit que dans la basse Seine elles détruisent beaucoup d’éperlans, de clupées et de brèmes.


« Ce n’est pas cependant sans danger qu’elles recherchent l’aliment qui leur convient le mieux ; malgré leur souplesse, leur vivacité, la vitesse de leur fuite, elles ont des ennemis auxquels il leur est très difficile d’échapper. Les loutres, les marsouins, plusieurs oiseaux d’eau et les grands oiseaux de rivage, tels que les grues, les hérons et les cigognes, les pêchent avec habileté et les retiennent avec adresse ; les hérons surtout, ont dans la dentelure d’un de leurs ongles, des espèces de crochets qu’ils enfoncent dans le corps de l’anguille et qui rendent inutiles tous les efforts qu’elle fait pour glisser au milieu de leurs doigts. Les poissons qui parviennent à une longueur un peu considérable, et par exemple, le brochet et l’acipenser esturgeon en sont aussi leur proie ; et comme les esturgeons l’avalent tout entière, et souvent sans la blesser, il arrive que, déliée, visqueuse et flexible, elle parcourt toutes les sinuosités de leur canal intestinal, sort par leur anus, et se dérobe, par une prompte natation, à une nouvelle poursuite. Il n’est presque personne qui n’ait vu un lombric avalé par des canards sortir de même des intestins de cet oiseau, dont il avait suivi tous les replis ; et cependant c’est le fait que nous venons d’exposer qui a donné lieu à un conte absurde accrédité pendant longtemps, à l’opinion de quelques observateurs très peu instruits sur l’organisation intérieure des animaux, et qui ont dit que l’anguille entrait ainsi volontairement dans le corps de l’esturgeon pour aller y chercher des œufs dont elle aimait beaucoup à se nourrir. »


En relevant une cordée (ligne dormante), je trouvai un jour une anguille et un brochet de forte taille accrochés à la même empile. L’anguille avait mordu d’abord et était restée prise. Survint le brochet qui voulut la happer, mais elle, glissant sa queue à travers les ouïes de son agresseur, faisant crochet en dehors, le retint prisonnier, et en dépit des nombreuses hachures imprimées sur son corps par les dents du brochet, elle finit par le noyer. Elle était encore pleine de vigueur lorsque je la retirai de l’eau avec son ennemi devenu sa victime.

On trouve parfois des anguilles dans le corps de gros animaux noyés qui ont séjourné longtemps dans l’eau. De là cette répugnance de certaines