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LES POISSONS

pointe sud-ouest. Cette plaine continue de tourbe a plus de quatre-vingts milles d’étendue ; sa largeur moyenne est de deux milles ; elle présente une superficie de plus de cent soixante milles carrés, et les sondages lui ont donné une épaisseur de trois à dix pieds. »

À ces témoignages, attestant de l’abondance de l’anguille dans les marais salins du sud de l’île, j’ajouterai celui de M. David Têtu, qui, pendant de longues années, a été gardien de phare à la pointe sud-est. En sa qualité de chasseur, M. Têtu gardait plusieurs chiens. Par un jour de printemps, il vit arriver à la tour (le phare), ses chiens couverts de vase, les pattes et le museau ensanglantés. Curieux de savoir ce qu’il en retourne, il suit leurs pistes imprimées sur la neige amollie et se rend ainsi jusqu’aux marais voisins, où, dans un trou ouvert sous une glace creuse, il découvre des masses d’anguilles enfouies dans la vase, enroulées et nouées par paquets de dix à quinze. Naturellement, il en prit sa provision, mais il aurait pu en saumurer toute une cargaison, s’il eût eu du sel et des barils. Chacun sait que nos anguilles d’eau douce, qui ne descendent pas à la mer, passent ainsi l’hiver entortillées, engourdies, enlisées dans la boue des anses de nos lacs et de nos rivières.

Il n’y a aucun doute que ces lagunes recèlent de prodigieuses quantités d’anguilles, qui restent inexploitées, faute de connaissances, d’examen ou d’esprit d’entreprise de notre part. La principale richesse de l’île est là, dans ces marais négligés jusqu’ici, et d’où l’industrie pourrait tirer annuellement des centaines de mille piastres de profit, tout en créant du travail et livrant à la consommation une masse énorme de matière comestible, délicate et recherchée. Sur ces réflexions, au lieu de me laisser glisser vers Natashquan, j’ordonnai de cingler vers la Pointe-de-l’Est de l’Anticosti ; et dès que nous fûmes en route, par un bon vent, je repris à tête enfoncée dans les deux mains, la lecture du chapitre de V. Meunier que voici :

« La lagune de Comacchio, qui peut avoir 130 milles de circonférence, est divisée en quarante bassins eutourés de digues, qui ont une communication constante avec la mer. Elle donne asile à plusieurs espèces de poissons : les anguilles sont les plus nombreuses et leur affluence est telle que les habitants de Comacchio en font commerce dans toute l’Italie. Chaque bassin est surveillé par un chef que l’on nomme facteur, lequel a plusieurs employés sous ses ordres, et quoique la pêche n’ait lieu qu’à certaines époques fixes, la manutention et la garde des bassins exigent qu’ils soient à leur poste toute l’année.

« Ils sont très occupés en deux saisons : la première, quand les anguilles nouvellement nées entrent dans les bassins ; la seconde, quand les anguilles devenues adultes cherchent à en sortir.