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LES POISSONS

qui doit s’expédier clandestinement aux États-Unis, où ce poisson se vend de cinquante centins à une piastre la livre, et on aura une idée des dégâts qui se commettent.

« Les lacs où se fait cette pêche illégale sont situés dans les cantons d’Abercrombie, Morin, Howard, Beresford, Wolfe, de Salaberry, Clyde, Grandison, Joly, Marchand, Labelle, La Minerve et Loranger. Dans tous ces cantons, il y a un nombre immense de grands et de petits lacs où foisonne la truite. Mais, si personne n’arrête le dégât qui se commet actuellement, il est sort à craindre qu’avant peu d’années il n’y ait plus de poisson à protéger.

« L’état actuel des choses est encore aggravé par le fait qu’il y a conflit de juridiction entre le gouvernement fédéral et celui de la province de Québec. Pendant que le premier réclame le droit de faire des règlements pour la protection du poisson et nomme des gardes-pêche qui sont censés les mettre en force, le second s’arroge le contrôle des eaux, se basant sur un jugement de la cour suprême — « Queen vs Robertson » — qui, prétend-il, lui donne ce droit. Jusque-là le mal ne serait pas grand, s’il y avait entente entre les deux gouvernements, et si l’on voulait bien voir à ce que la loi fût appliquée d’une manière efficace, afin que le poisson soit protégé. Mais il est loin d’en être ainsi. Le gouvernement fédéral a bien deux gardes-pêche résidant, l’un à Saint-Sauveur et l’autre à Sainte-Adèle ; mais il est notoire que ces deux officiers sont impuissants à prévenir ou empêcher le mal.

« D’un autre côté, le gouvernement provincial laisse faire, se contentant de dire que puisque le gouvernement fédéral juge à propos de faire des lois pour la protection du poisson, c’est à lui de les faire observer. Et nunc erudimini, gentes !

« Tout cela pourrait prêter à rire, si la chose n’était pas aussi sérieuse. Il fut un temps où le poisson fourmillait dans les lacs, en arrière de la Baie-Saint-Paul, de la Malbaie, de Kamouraska, Cacouna, Rimouski, etc. On partait le matin, au petit jour, pour revenir le soir « avec sa charge, » comme disent nos gens. Allez-y voir maintenant ! À l’heure qu’il est, quand ces endroits sont fréquentés chaque saison par un grand nombre de touristes, quelle plus grande attraction pourrait-on leur offrir que celle de la pêche à la mouche ?

« Malheureusement, le poisson y a été tellement détruit que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Sur tout le parcours du chemin de fer, au nord de Saint-Jérôme, il y a de charmants endroits où les citoyens de Montréal bâtiront sous peu des résidences, afin d’y aller passer deux ou trois mois pendant la belle saison. Pourquoi ne pas protéger le poisson de ces lacs et augmenter la source de jouissances que nos citadins en retireront ?