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DES POISSONS

Écoutons : maintenant J. Franklin nous parler des morues de l’étang du Mill of Galloway, sur la côte ouest de l’Écosse.

« Je visitai cet étang, il y a quelques années. Des amis m’accompagnaient, et précédés de la femme du garde, nous montâmes une sorte d’escalier qui conduit à la pièce d’eau. Nous n’avions pas plus tôt paru au haut de cet escalier, qu’il se fit une espèce d’émeute parmi les poissons. Ils s’élancent vers la plate-forme, se poussant et se bousculant les uns les autres, dans leur ardeur commune à se rendre vers l’endroit où l’on a coutume de leur distribuer la nourriture, absolument comme sont les volailles dans une basse-cour, à la vue de celui ou de celle qui leur donne à manger.

« Nous nous étions pourvus, en venant, d’une certaine quantité de moules, que nous avions exposées au feu, afin de les dégager plus aisément de leurs écailles. C’est un aliment dont la morue et les autres poissons de cet étang se montrent excessivement friands.

« On m’a dit que ces poissons, après avoir été ainsi engraissés durant quelques semaines, surpassent en saveur leurs frères sauvages que l’on pêche dans les mers ouvertes.

« Je jetai la nourriture aux poissons, et je puis dire, sans me flatter, qu’elle fut bien reçue. Les morues venaient la chercher jusque dans ma main. Je voulus m’autoriser des termes de familiarité dans lesquels je semblais être avec mes nouveaux amis, pour saisir quelques-uns d’entre eux et les prendre dans mes mains. J’essayai à plusieurs reprises, mais les hôtes à nageoires de cette pièce d’eau, surtout les plus grands, m’échappèrent constamment ; à peine si je pus m’emparer d’un petit de 2 à 3 livres. Je compris que ces poissons aimaient mieux mes moules que mes caresses. Peut-être, d’ailleurs, notre connaissance était-elle trop nouvelle pour leur inspirer une sécurité parfaite relativement à mon intention.

« En effet, la femme du gardien en prit sans efforts un des plus grands sur ses genoux ; elle le caressa et le flatta, disant : « Pauvre ami ! pauvre ami ! » absolument comme si c’eût été un enfant. Elle lui ouvrit la bouche, et y introduisit une moule que le poisson avala en donnant des signes qu’il la trouvait bonne ; puis elle le remit dans l’eau.

« Je remarquai plusieurs degrés d’apprivoisement parmi les membres de cette famille ; quelques poissons étaient tout à sait familiers, d’autres à demi-domestiqués, d’autres encore presque sauvages. Il est curieux de voir à l’heure des repas, au moment où le gardien apparaît sur la plateforme, ouvrir toutes ces bouches pour recevoir la nourriture quotidienne.

C’est un bruit, une agitation, une rivalité touchante entre les poissons ; c’est à qui gagnera, par sa gentillesse, les bonnes grâces du maître ou de la maîtresse.